Institut Hop'Art

Ateliers Kintsugi en psychiatrie

Sublimer les fêlures. 
C’est un des objectifs de l’atelier que Nadia Barbotin a mené à l’unité Espace (CHU de Nantes). Cette unité accueille des jeunes présentant des conduites de mise en danger de soi. Ensemble, ils ont revisité le concept de Kintsugi…

Le Kintsugi est une méthode japonaise de réparation des porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or.

La série MatièreS de Nadia Barbotin revisite la notion de Kintsugi en alliant matière et huiles sur toile, on retrouve les fêlures sublimées par le doré.

Un projet sur-mesure imaginé par l’institut Hop’Art pour l’unité Espace

L’Institut Hop’Art a rencontré l’équipe soignante à deux reprises en 2024 pour comprendre les spécificités du service, et recueillir les besoins et les idées de l’équipe. Le concept de Kintsugi a émergé au cours des échanges, et l’institut Hop’Art a cherché un ou une artiste locale. Ce sera Nadia Barbotin, une artiste basée à Nantes qui a revisité ce concept dans une série appelée MatièreS et qui a une grande expérience du public jeune et des ateliers artistiques dans différents contextes. 

Jour 1

Sur les 12 patients que compte l’unité, 6 patients de 14 à 17 ans participent à l’atelier. Certains sont sur le départ, d’autres viennent d’arriver et n’ont pas eu le temps de s’engager dans le parcours de soins. Lors d’un premier atelier, les six participants sculptent une forme qui leur ressemble sur une toile. L’artiste les guide pour habiter l’espace de la toile et présenter une forme harmonieuse. Ils la dessinent sur papier libre puis la reportent sur le carton toilée avec des adhésifs de masquage. Chaque participant fabrique ensuite son propre enduit avec l’aide de Nadia Barbotin, le toucher est un sens qui fait appel au rapport au corps et il n’est pas anodin dans une telle unité, mais ici la manipulation a un effet très positif sur les jeunes. L’artiste les aide à obtenir la bonne consistance. Ils procèdent ensuite au remplissage de la forme avec l’enduit en épaisseur puis créent des reliefs dans la matière avec différents outils. « Chacun a du relief », explique Nadia et de fait les toiles ont chacune une apparence bien singulière.

Jour 2

Ce jour-là, la couleur s’invite dans l’atelier. Il s’agit de choisir (un exercice pas facile pour tout le monde) une couleur (doré, argent, cuivre ou fluo) pour combler les fissures et une autre pour couvrir le reste de la toile. Le remplissage des fissures demande de la concentration et de l’application, c’est un moment calme. Il s’agit de canaliser son énergie, de projeter la couleur dans un espace délimité. Certains prennent des liberté, la jeune S. (14 ans) applique la teinte² cuivrée à l’extérieur de la forme, R. (15 ans) ajoute du vert fluo au doré. « Comme si le vert s’infiltrait . Le violet va mettre le doré en valeur. » Puis « j’aime bien c’est macabre ça fait une aura fantomatique ça . » S’ils sont séduits par le gris ou le noir, l’artiste les invite à y mettre une goutte de couleur, du bleu pour apporter de la profondeur au noir par exemple.

Infirmières, artiste, jeunes patients, chacun voit des choses différentes dans les formes proposées. Comme on interprète les nuages. On manipule les toiles, on les tourne et les retourne. Parfois les autres voient ce que l’un a imaginé et parfois pas du tout. Les jeunes se lèvent et vont voir ce que les autres ont fait.  

À la fin de l’atelier, l’artiste invite les participants à signer leurs œuvres. De leur prénom ou d’un pseudonyme. Une étape qui peut paraitre anodine mais qui signifie une appropriation de son œuvre, une fierté ressentie aussi. La jeune M. (16 ans), elle, ne signera pas.

« On sent que ces instants leur permettent de canaliser des émotions complexes et de se reconnecter, même brièvement, à une forme de vitalité » Nadia, artiste.

À l’issue de l’atelier, les jeunes sont fiers ; ils rapporteront leurs œuvres chez eux à l’issue de l’hospitalisation, comme une trace de ce moment de vie.

La création artistique n’est pas seulement une activité, mais un acte de vie, une manière de se réapproprier son histoire, ne serait-ce que pour un instant. 

Nadia Barbotin, artiste

Les retours des participants

Les jeunes patients ont été enthousiastes, ils ont particulièrement apprécié de découvrir une nouvelle forme d’art et de pouvoir le pratiquer. Le mix matière et couleur leur a énormément plu. « C’est relaxant et c’est sympa de voir ce que les autres ont fait », témoigne M. (15 ans)

Les jeunes se complimentent les uns les autres, sur le choix des couleurs surtout. Alors qu’ils traversent un moment très compliqué, le regard bienveillant et les propos mélioratifs venant de leur pair peuvent avoir un impact sur l’estime de soi. Au fur et à mesure, ils se détendent, la parole se libère et les contacts se font plus directs. C’est un effet important de l’atelier parce qu’une partie du parcours de soins à l’unité Espace passe par le collectif.

Parler de la couleur permet de parler de soi, et de rire aussi. L’expression qui revient le plus souvent est « ça détend ». L’objectif d’évasion a été atteint.

« On est concentré et on ne pense à rien, ça fait du bien » une patiente.

Une alternative au scrolling de toute façon impossible dans l’unité où les jeunes n’ont pas accès à leurs téléphones ni au réseaux sociaux. 

Pour Juliette et Manon, infirmières, « ça les sort du cadre ». Le service manque de moyens, de temps et de ressources (fonds, temps et réseau) mais les professionnels aimeraient pouvoir créer plus de ponts avec l’extérieur.

« La médiation artistique vient appuyer différentes notions que nous rencontrons dans l’exercice d’infirmier en psychiatrie comme celles de fêlure, fissure, fragilité, d’introspection et de sublimation. » Juliette, infirmière.

Ce genre d’activité permet de créer du lien et d’échanger avec les jeunes en dehors du cadre thérapeutique. 

Nadia le dit, l’institut Hop’Art en est convaincu : « la création artistique n’est pas seulement une activité, mais un acte de vie, une manière de se réapproprier son histoire, ne serait-ce que pour un instant.

L'atelier en images

POUR ALLER PLUS LOIN…

« Animer cet atelier artistique avec des jeunes en grande souffrance psychique est une expérience profondément émotive et engageante. Dès le début, on ressent une grande responsabilité, car il ne s’agit pas seulement d’encadrer une activité, mais d’offrir un espace de sécurité et d’expression à des personnes en grande souffrance. Les premiers instants sont souvent marqués par une certaine tension ; on perçoit une retenue, ils ne savent pas où s’asseoir, le silence s’installe entre eux mais pas entre nous car rapidement je romps la glace en parlant de mon activité et du projet.

Puis chacun se présente simplement. Ces jeunes, traversant des moments de vie extrêmement difficiles, peuvent être réticents à s’ouvrir ou à s’exprimer, même par le biais de l’art.

Très rapidement pourtant, au fil de l’atelier, l’évolution est palpable. On peut observer comment les gestes deviennent moins hésitants, comment les regards se font plus directs. L’art sert ici de médiateur, de langage parallèle qui permet d’exprimer ce qui est difficile à verbaliser. Voir un jeune prendre un crayon, dessiner librement , se perdre dans son imaginaire, puis se concentrer sur le modelage et les reliefs de sa forme reste un moment puissant. Le choix des couleurs n’est pas anodin, bien au contraire.On sent que ces instants leur permettent de canaliser des émotions complexes et de se reconnecter, même brièvement, à une forme de vitalité.

En tant qu’animatrice, on est souvent traversé par un mélange d’espoir et d’impuissance. Il y a une joie à voir ces jeunes trouver un moyen d’expression, mais aussi la conscience que l’atelier ne résout pas les problèmes de fond. Il peut être difficile de ne pas s’investir émotionnellement. Pourtant, l’atelier artistique n’a pas vocation à guérir, mais à offrir un moment de répit, une bulle hors du temps où chacun peut explorer ses sentiments sans jugement.

À la fin de l’atelier, je ressens de la fierté de la part des participants.

Les œuvres réalisées racontent à leurs façons, des histoires complexes, faites de douleur, de résilience et parfois d’espoir. On prend conscience que l’art peut être un outil puissant de résilience et de transformation, même si son impact reste parfois difficile à mesurer.

J’ai eu un grand plaisir à créer et animer cet atelier, dans l’espoir de voir des sourires sur les visages et de sentir que les jeunes reprenaient confiance en eux.Ce témoignage d’une expérience humaine brute et intense rappelle que la création artistique n’est pas seulement une activité, mais un acte de vie, une manière de se réapproprier son histoire, ne serait-ce que pour un instant. »

Née à Brest dans une famille d’artistes, Nadia Barbotin grandit au contact d’un grand-père exceptionnel : pastelliste, aquarelliste, et doté de l’oreille absolue. Il lui transmet son amour pour le beau dont elle se nourrit constamment.

Avec Nadia, la couleur est toujours à l’honneur, de préférence éclatante, vibrant ainsi sous la lumière. Parfois, la matière s’invite, telle une sculpture picturale verticale, donnant ainsi du relief aux supports.

Inspirée par les impressionnistes pour leur lumière, leur mouvement et leurs couleurs vives, émerveillée par les expressionnistes abstraits pour leur langage émotionnel véhément et spontané, et par l’Action painting pour le geste physique et l’énergie, Nadia Barbotin essaie de traduire dans ses œuvres, un mélange de tous ces mouvements. Travaillée par touches, grands aplats, mouvements, la peinture vit, se transforme.

Retrouvez le travail de Nadia Barbotin sur Instagram et à la galerie Wilo & Grove.

Revisiter le Kintsugi avec ces jeunes, c’est leur offrir un lieu et un moment d’expression, c’est leur proposer de faire du beau et encourager leur créativité au sein d’un cadre. Avec en toile de fond l’idée de sublimer les fêlures dans une démarche spontanée, qui invite aussi au lâcher prise.

Cet atelier, c’est l’opportunité pour les jeunes patients de découvrir l’univers d’une artiste, d’expérimenter sa technique, d’oser et de se lâcher. L’art invite à créer du lien. La notion de groupe est importante dans ce service où la relation à l’autre fait partie du parcours de soins. 

Le temps étant limité, ils sont invités à agir dans l’instinct, à se lancer, à laisser leur imagination s’exprimer, sans la réfréner. Spontanément. Dans un lâcher prise créatif.

C’est une invitation, à se retrouver (chacun et avec les autres), à s’exprimer, à ressentir, à poser sur soi un regard bienveillant.

Les jeunes sont invités à se saisir de l’art pour raconter autre chose, pour se raconter autrement, sans se focaliser précisément sur les difficultés. C’est une opportunité de rêverie et d’échappatoire créatif; c’est pour un moment, un univers à investir librement.

Difficultés psychologiques chez les jeunes: si vous ou un proche êtes concerné, parlez-en.

Plus d’infos sur l’unité Espace (CHU de Nantes), c’est par ici.

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